L’idée du GECRIDAC (Générateur de critiques de danse contemporaine) a germé en l’an 2000. J’habitais Paris et je fréquentais le Théâtre de la Ville, où j’allais voir des spectacles de danse : Wim Vandekeybus, Jan Fabre, Anne-Teresa de Keersmaeker, Josej Nadj, Mathilde Monnier, et beaucoup d’autres plus ou moins connus. Comme beaucoup de salles de spectacle, le Théâtre de la Ville édite un livret qui est remis aux spectateurs. Or certains des rédacteurs recouraient (et recourent toujours) à des tournures de phrases particulièrement alambiquées, ou à des métaphores douteuses, appliquant à la danse des termes qu’on a plutôt l’habitude de rencontrer dans des précis de thermodynamique ou des livres de pâtisserie. Cela me faisait immanquablement penser aux discours du maire de Champignac, dans la BD de Franquin, Spirou et Fantasio. Comme j’avais déjà pondu un petit générateur automatique de jargon « néo-économique » (on était en plein boum internet et je travaillais comme journaliste dans un mensuel du futur qui n’aura hélas pas vu l’an 2001), cela m’a donné envie de créer un générateur de critiques de danse.

Je crois que mon intérêt pour la langue de bois me vient de la pratique du journalisme. Quand vous passez vos journées à interviewer des types qui s’écoutent parler pour ne rien dire, parfois avec un certain talent du reste, vous finissez par y trouver une certaine poésie. Ou alors vous changez de métier. Ou alors vous changez de journal et vous interviewez des gens plus intéressants. Je suis très intéressé par les travaux de l’OuLiPo, et pour ceux qui connaissent les Cent mille milliards de poèmes, de Raymond Queneau, mon générateur est construit sur le même principe. C’est de la combinatoire tout bête. À vrai dire, ce n’est pas directement ce livre de Queneau qui m’a donnée l’idée du GECRIDAC, mais un texte publié dans « Lettres en Folie », de Thierry Leguay et Alain Duchesne. Si j’ai bonne mémoire, le texte - une parodie de discours politique - se présentait sous la forme d’un tableau de dix lignes, et il suffisait de lire une case au choix dans chaque colonne pour produire un discours sans fin, qui raillait la langue de bois des communistes d’Europe de l’est. Le GECRIDAC ne fait pas autre chose, en navigant d’un son à un autre. Sauf qu’il y a plusieurs centaines de sons, ce qui démultiplie les possibilités de discours.

La première phase du travail a été particulièrement plaisante, puisqu’il me suffisait d’éplucher cette littérature fournie gratuitement avec chaque spectacle, de la découper en syntagmes, et de l’enregistrer. Pour la phase suivante, qui nécessitait quelques connaissances informatiques, j’ai fait appel à mon ami Antoine Rousseau, qui maîtrise le logiciel Pure Data et qui fabrique des machines sonores interactives au sein de l’étonnant duo Al1&Ant1. Le résultat est vraiment tout bête, mais fonctionne au-delà de mes espérances. J’ai par la suite produit une version appelée GENPOLDIS (Générateur politique discursif), sous forme d’une borne interactive. On pose une question au micro, et la machine vous répond en pure langue de bois politique. Le procédé est adaptable à n’importe quel corps de métier, car en creusant un peu, on s’aperçoit que chaque corporation dispose de son jargon, sinon de sa langue de bois.

Le GECRIDAC est avant tout une installation sur le langage. Le propos est très simple, et consiste à tourner en dérision ces discours enflés d’eux-mêmes, en les singeant - à peine. Il ne faut pas y voir autre chose, et surtout pas un spectacle de danse ! Bien sûr, il m’arrive de présenter la machine en effectuant des contorsions vêtu d’un slip de bain, mais c’est simplement pour permettre à l’oeil de se fixer quelque part, et parce qu’un simple ordinateur duquel dépasse un casque audio dégage une austérité qui fait fuir le chaland. Attention, je ne dis pas qu’on ne peut pas se moquer des danseurs eux-mêmes, c’est même une nécessité dans certains cas, mais cela demande d’être soi-même un danseur, ce que je ne serai jamais.