À Maurice Chamontin, 1939-2024
L’Ardéchois, c’est connu, a la caboche dure
Pourtant Maurice est mort en se cognant la tête.
Un seul point positif à sa mésaventure :
il n’aura pas fini en maison de retraite.
Il n’aura pas connu le sort des grabataires
qui, le corps avachi et le cerveau en miettes,
finissent leurs vieux jours percés de cathéters,
à côté de leurs pompes et pas dans leur assiette.
Il préféra partir d’une façon discrète
au sens où l’entendrait un mathématicien
c’est-à-dire d’un coup. Traumatisme crânien,
tu lui as évité la maison de retraite !
À la gare, embusquée, la mort se tenait prête
Maurice n’avait plus la souplesse du chat
pour tout dire on ne sait comment il trébucha
et tout le monde ici se perd en conjectures :
a-t-il marché sur un lacet de sa chaussure ?
Son pied a-t-il connu la traîtresse pelure
de banane oubliée par un indélicat ?
On sait le résultat : une double fracture.
Ainsi Maurice prend la poudre d’escampette,
lui qui craignait si fort la maison de retraite.
On ne l’aura pas vu gâteux ni décrépit :
je ne prétendrai pas qu’il était encore vert,
mais juste avant sa mort il écrivait des vers !
Il en buvait aussi, sans prendre de répit.
C’eût été désolant de le voir en fauteuil,
absorbant à la paille un bouillon de courgettes.
C’est de lui que je tiens ce bon coup de fourchette.
Tout comme le cerveau j’ai l’estomac en deuil !
Nous n’avions certes pas de rapport génétique
mais quand du marchepied Maurice dérapa,
les lois de l’attraction et de la mécanique
m’ont enlevé d’un coup mon deuxième papa.