Au terrible sultan qui lui intimait l’ordre de dérouler le long fil des temps à venir, l’astrologue Csillag répondit : « donnez-moi quatorze jours au plus et je vous dirai tout ». Il choisit au hasard une étoile au zénith pour en suivre le cours pendant une semaine. Il releva chaque angle avec un soin maniaque et nota sa valeur sur un grand parchemin qu’au cœur de son fourneau il réduisit en cendres. Après quoi il jeûna en disant des prières, égorgea un poulet, laissa coaguler le sang de l’animal et le mêla aux cendres, s’enivra de vin doux, dormit sous un laurier, fit le tour du palais en marchant à l’envers, mangea du dawamesk, insulta le Prophète, avec un fil d’argent se cousit les paupières, jeta un œuf de caille au fond d’un puits de pierre, et une fois rendu à la cour du sultan, devant son souverain trois fois se prosterna. « Eh bien, parle ! » intima l’ombrageux empereur. Csillag n’était pas né de la dernière pluie, il savait que prédire un avenir trop faste ne le ferait passer que pour un flagorneur, mais que s’il prévoyait des désastres sans fin, il mourrait empalé au pied de la muraille. Alors il s’en tira en restant dans le flou : « Le soleil brillera sur votre sultanat tant qu’il ne pleuvra pas. Et vos administrés ne se révolteront que s’ils sont mécontents ». Ce discours, le sultan parut s’en satisfaire. Le temps passa. Csillag coulait des jours heureux. Mais un funeste jour, le sultan le chargea d’une réquisition autrement difficile : « Toi qui lis l’avenir, apporte-moi la preuve que tu sais lire aussi les choses du passé, ou ta tête ornera les créneaux du palais. Dis-moi donc je te prie ce que j’ai fait hier ! » Le magicien frémit et parla de la sorte : « Majesté, l’avenir, le passé, le présent sont des choses qu’on peut lire dans les étoiles, mais cette fois je dois regarder au nadir, et vous constaterez que sous nos pieds, la terre est un obstacle qui nous empêche de voir ! Pour observer vraiment les astres d’en dessous, il faut creuser. » Ayant dit ceci, l’astrologue se rendit au jardin et saisit une pelle. D’après ce qu’on m’a dit, le trou n’est pas fini : au fond de son jardin le mage creuse encore, fatigué, mais heureux ne ne pas être pas mort.
Texte écrit pour le numéro 6 du fanzine Printemps barbare sur le thème "naguère nadir".